Au sein de l’Armée, on dit souvent que la motivation, l’entraînement, l’investissement ne suffisent pas à faire un excellent chasseur. L’instinct fait la différence. L’instinct, c’est la capacité naturelle, ou devenue naturelle, à s’adapter efficacement à toute situation. Le métier des pilotes de bombardiers d’eau de la Sécurité Civile laisse une grande place à cet instinct mais n’en dépend pas exclusivement.
Les appareils les plus connus de la composante aérienne de la Sécurité Civile sont couramment appelés « les Canadairs ». La plupart des gens ne savent pas qu’il existe d’autres types de bombardiers d’eau que ces gros avions aussi appelés » Pélicans jaunes « . Rares sont ceux qui savent que Canadair est le nom du constructeur, filiale du groupe Bombardier, qui produit entre autres des avions de ligne. Cet abus de langage est la preuve de la réussite de ces appareils et de l’image de noblesse et d’efficacité qu’ils ont pris dans nos cœurs.
Ce gros avion trapu (près de 20 mètres de long pour 30 mètres d’envergure), pourvu d’une coque de bateau et doté d’une voilure haute classique mettant les hélices hors de portée de l’eau. Il prend progressivement, un peu partout dans le monde, la relève de son prédécesseur ( le PBY Catalina spécialement conçu pour la lutte contre les incendies.). Nul doute de la parenté des deux appareils…
La mission particulière confiée aux équipages des bombardiers d’eau justifie un recrutement un peu spécial. A l’origine, quand l’aéronavale possédait encore des hydravions, les pilotes sélectionnés pour les missions d’attaque du feu à bord des Catalinas étaient tout désignés. La Sécurité Civile a ensuite choisi de recruter parmi d’anciens marins chasseurs.
Aujourd’hui, la majorité des pilotes provient de l’armée de l’Air. Le recrutement s’effectue avec une expérience minimale de 3000 heures de vol. Pilotes aguerris certes, mais avant tout fiables, c’est-à-dire attentifs, consciencieux et motivés, quelques uns proviennent de la Patrouille de France et ce n’est pas un hasard.
Leur mission courante : Protéger la forêt
Pendant la saison des feux, les équipages sont d’alerte du lever au coucher du soleil… Quand ils sont appelés à intervenir, il est fréquent qu’ils rentrent de nuit à la base avion de la sécurité Civile : la lutte contre l’incendie a lieu tant que le ciel le permet. Leur métier est fait d’attente et d’incertitude. A tout moment, l’alarme peut retentir dans les locaux. Et si hors période de feux, les vols sont rares et ne sont destinés qu’au minimum vital d’entraînement (et ce n’est jamais assez aux dires des pilotes !), les journées d’été sont très chargées.
Les Canadairs sont donc appelés sur des incendies importants, c’est pourquoi ils volent toujours par quatre en été. Dix minutes suffisent pour que le groupe prenne l’air, s’intercalant rapidement dans le trafic fluide desservant l’aéroport de Marseille – Marignane. Au moment de l’alerte, la localisation de l’incendie est souvent imprécise et la préparation du vol est donc succincte. Un cap provisoire est pris. En ce qui concerne l’axe de traitement du feu, tout dépendra du relief et de l’aérologie locale. Sur place, un chef de feu dirige les efforts combinés des moyens aériens et des moyens au sol, toujours dans un souci de sécurité.
Notez la proximité des câbles électriques HT (Toiles d’araignées). Pour les équipages aussi, le souci de sécurité est sous-jacent à chaque action. Tout d’abord dans la priorité des cibles traitées. Il sera bien sûr privilégié la protection d’un groupe de pompiers encerclés par les flammes en vue de leur sauvetage, ou la protection d’habitations isolées, voire de certaines villes menacées. Parfois, dans ces cas, des zones classées parcs naturels ont pu être provisoirement laissées en proie aux flammes, attirant sur la Sécurité Civile les foudres médiatiques.
Cependant, si quatre Canadairs peuvent enchaîner rapidement les passages, assurant leur efficacité parce que le feu n’a pas le temps de se régénérer entre les passes, séparer le groupe en deux rendrait chacune des attaques des foyers inutiles, ou susciterait une perte de temps.
Les pilotes ont relaté quelques missions où les quatre appareils tournaient particulièrement bien. En Corse notamment, les zones à hauts risques d’incendie ne sont jamais éloignées du littoral. Certains circuits écopage – largage – écopage peuvent se dérouler dans un laps de temps de quatre minutes. Imaginez à quatre avions, 6 tonnes d’eau disponibles toutes les minutes pendant quatre heures durant.
Une Noria se présente à l’écopage Leader 35, Pélican 39, Pélican 44, Pélican 34, Pélican 31
L’Écopage, voilà qui justifie la judicieuse conception des CL-215 et 415. Celui-ci prend contact avec l’eau et ingère en une dizaine de secondes et un peu plus de 600 mètres, 6 000 litres d’eau ! Entre la phase d’approche et l’éloignement de l’avion, 1 300 mètres suffisent.
Que les «Rêveurs» nous expliquent comment un baigneur peut être aspiré par cette trappe d’écopage ?
Les incendies se développent rarement par temps calme. Les pilotes doivent composer avec le clapot, les vagues et la houle (que les marins connaissent bien), sans oublier le vent… L’avion peut amerrir par des creux de 1,80 mètres. Mais ces mouvements combinés font parfois déraper l’avion quand il ne faut pas et les appareils doivent parfois rentrer avec un flotteur d’aile endommagé.
L’écopage est la phase qui consiste au remplissage des soutes de l’avion sur la surface d’un plan d’eau, tout en maintenant une trajectoire de vol rectiligne horizontal. En 12 secondes le plein est terminé. 6 100 litres d’eau se sont engouffrés dans les deux soutes à une pression voisine de 7 bars. Les écopes sont alors rentrées et le pilote pousse les moteurs à pleine puissance pour « déjauger » l’avion. Après la sortie de l’eau à 78 kts, il effectue un palier à faible hauteur pour rechercher la vitesse de sécurité (96 kts) avant de reprendre la montée et mise de cap vers le feu.
Le travail des Canadairs a lieu la majeure partie du temps en milieu montagneux, lequel est particulièrement exposé au vent qui attise les flammes.
Les conditions aérologiques rendent souvent les largages « sportifs », comprenez qu’il faut toute la capacité de lecture du terrain qu’acquièrent les pilotes pour intervenir en toute sécurité. Car les largages ont lieu à une trentaine de mètres du sol.
En dessous, la force d’impact est telle que l’eau dévasterait tout sur son passage. Des pompiers, dont nous saluons le courage et le dévouement dans cette lutte inégale, y ont perdu la vie. Au dessus de cette altitude, avec les effets conjugués du vent relatif et de la fournaise ambiante, les molécules d’eau ne toucheraient même pas le sol.
Après le largage, tirer sur le manche ne suffit pas à faire monter l’avion qui est aspiré vers le flanc des montagnes. La solution est de prendre de la vitesse afin de se soustraire à l’aspiration du sol…
Visite de l’appareil
De la sagesse. Même si ces anciens pilotes de chasse se retrouvent aux commandes de gros bahuts bien lents et qui ressemblent plus à des bateaux qu’à des avions, être affecté à la Sécurité Civile est une filière convoitée.
Choisis parmi les meilleurs, ils doivent alors tout réapprendre d’un métier qu’ils ne connaissent pas. C’est pour eux un second souffle… qui laisse présager d’intenses moments de pilotage dans des conditions « viriles ». Saluons ces hommes qui adorent voler. Mais c’est avant tout leur pudeur, leur humilité, leur sagesse qui fait d’eux, avec les hommes de terrain,les garants de la tellement fragile sécurité de nos forêts. Mais le métier de pilote de Canadair reste un métier de prudence, où chacun est assez sage pour ne pas se surpasser, et où l’instinct et le sens pratique acquis avec l’expérience du feu, sont un gage d’efficacité.
Respect Messieurs !